mercredi 15 avril 2015

Krönik | Code - Mut (2015)


Curieuse – et décevante pour certains – trajectoire que celle de Code, au départ un groupe extraordinaire auteur d’un premier album – « Nouveau Gloaming » –  incarnant à lui seul, le renouveau justement, d’un art noir à la fois évolutif et féroce, ambitieux et crépusculaire mais à l’arrivée, une formation de (quasi) metal progressif vaguement arrimée au Black Metal qui semble avoir perdu en route plus que son fabuleux chanteur, le grand Kvohst, parti baguenauder avec son Hexvessel du côté d’un Dark Folk bucolique mais surtout son âme et ce, nonobstant les qualités intrinsèques de « Augur Nox ».

A l’écoute de son successeur, on mesure non pas que ce troisième opus fut un second chapitre comme nous étions alors nombreux à le penser mais une oeuvre charnière, transition entre des débuts sous le sceau du metal noir et une évolution vers une musique plus progressive (ce qu’elle a certes toujours été) sinon atmosphérique. De fait, si son prédécesseur laissait encore affleurer à sa surface les lointaines racines extrêmes de son principal auteur, le guitariste Aort, par ailleurs bassiste chez les doomeux d’Indesinence, « Mut » largue franchement les amarres pour accoster des terres qui, bien qu’encore belles et réussies, se noient dans un notable manque de personnalité.

Le chant de Wacian, bien qu’excellent, n’est sans doute pas pour rien dans cette singularité en berne tant ses lignes vocales font parfois plus qu'évoquer celles d’un Daniel Gildenlöw (Pain Of Salvation), comme l’illustre notamment un titre tel que ‘The Bloom In The Blast’. Il y a pire référence, bien entendu, pour autant, alors qu’il forgeait dix auparavant un art qui n’appartenait qu’à lui, Code parait désormais loucher vers ce rock mélancolique, quoique toujours un peu tordu, (trop) à la mode. Ceci dit, « Mut » possède au final presque plus de charme voire de réussite que « Augur Nox », grâce à un menu serré et très bien fait qu’émaillent nombre de perles aux allures de travail d’orfèvre, parmi lesquelles nous pouvons citer le magnifique ‘Dialogue’, puissamment émotionnel, ‘Inland Sea’, le percussif et déglingué ‘Affliction’ sans oublier ‘Undertone’.

En outre, comme le laisse deviner le temps anormalement court qui ses deux dernières livraisons, on sent que les Anglais ont trouvé depuis quatre ans et un nouveau line-up désormais parfaitement en place, un second souffle, gagnant en énergie intimiste ce qu’ils ont perdu en personnalité. Et puis tant pis si ce n’est plus vraiment le même groupe et si quelques ayatollahs fans de la première heure font la gueule… (Agonia Records | Sound Protest)



mardi 14 avril 2015

Krönik | Les Mémoires Fall - Endless Darkness Of Sorrow (2014)


Art de la douleur, le Doom a peu à peu essaimé à travers toute la planète, quand bien même les longues nuits d'hiver, les paysages désolés, forment un cadre plus propice à sa prolifération que des terres écrasées par le soleil. Etonnamment (ou non), l'Amérique latine est parsemée de chapelle en honneur à cette déesse de la tristesse. Fungoid  Stream en Argentine, Mar De Grises, Mourners Lament ou Aura Hiemis au Chilie, sont quelques uns de ses révérends. 

Les Mémoires Fall a vu quant là lui la nuit au Brésil. "Endless Darkness Of Sorrow" est sa première véritable hostie toutefois précédée d'un split avec Lugubres deux ans plus tôt. Ce curieux nom cache un groupe nostalgique du gothic doom des années 90, comprendre avec du chant féminin accouplé à des grognements de bête en rut dedans donc. La recette est connue et l'intéressé ne cherche d'ailleurs pas à s'en éloigner ni à en briser les codes, ce que confirme de toute façon le caractère inodore du titre de l'album. 

Et malgré ses faiblesses de forme dont une prise de son qui peine à cacher son manque de moyens et de fond (des voix féminines hésitantes), ce galop d'essai n'est pas sans charme, celui des premières fois, maladroit mais touchant, celui propre à cette scène latine détentrice d'une identité particulière qui n'a rien à voir avec celle des paroisses plus septentrionales. Les Mémoires Fall possède à sa manière, modeste et artisanale (ce n'est pas un gros mot), ce son crépusculaire et ténébreux que l'on croise chez la plupart de ces lointaines formations du Sud de l'Amérique. 

Evoquant le spectre du UK doom, "Endless Darkness Of Sorrow se déploye par le biais de longues plaintes dont certaines sont très belles, telles que l'inaugural "River Of Pain" ou bien encore "The Sun Fell". Gluants, les claviers soulignent heureusement plus les ambiances qu'ils ne les tracent, rôle tenu par les guitares sécrétatoires d'une mélancolie aux touches à la fois diaphanes et cendreuses. 

Ce premier opus des Brésiliens est à prendre pour ce qu'il est, rondelle séminale dont le (petit) charme naît justement de ses défauts et de la simplicité de ses traits, agréables à l'heure des disques sur produits. Car le doom a toujours tiré une bonne part de sa beauté, de son âme également, d'un son tout en aspérité. (Shapeless Vision Records | La Horde Noire)


lundi 13 avril 2015

Krönik | Nightwish - Endless Forms Most Beautiful (2015)


Si les albums de Nightwish sont toujours très attendus, "Endless Forms Most Beautiful" l'est encore plus que les autres car il est le premier à accueillir Floor Jansen derrière le micro, troisième chanteuse de la formation. Autant sa devancière, Anette Olzon n'a jamais vraiment su faire oublier sa devancière à laquelle elle a eu la lourde tâche de succéder et ce, nonobstant l'incontestable réussite des deux offrandes auxquelles elle a participé, autant il n'aura pas fallu longtemps à l'ancienne After Forever pour se mettre le public des Finlandais dans la poche. Une tournée, immortalisée par le DVD "Showtime, Storytime", aura suffi pour donner l'impression que la Batave a rejoint la bande de Tuomas Holopainen depuis des lustres.

De fait, beaucoup considèrent - à raison ? - que Nightwish a enfin trouvé la pièce qui lui manquait depuis l'éviction de sa chanteuse historique, permettant à celui-ci de renouer avec des atours plus metal que le grain de voix presque pop d'Anette avait contribué à siphonner quelque peu. Avant de détailler par le menu ce huitième opus (déjà !) et pour en finir avec les questions de ressources humaines, sachez que Troy Donockley, responsable des touches celtiques et de quelques chœurs et discrètes lignes vocales depuis "Dark Passion Play", est désormais un membre à part entière et que, pour des raisons de santé, le batteur Jukka Nevalainen a dû céder sa place pour une durée indéterminée à son compatriote Kai Hahto de Swallow The Sun.

Trois ans après un "Imaginaerum" qui, malgré ses qualités, a divisé les fans, surgit donc "Endless Forms Most Beautiful", attendu comme une espèce de Graal par ceux qui ne se sont jamais consolés du départ de Tarja. Pour cette raison - mais ce n'est pas la seule -, l'œuvre est une réussite, en cela qu'elle réunit tous les ingrédients qui ont peu à peu façonné le son du groupe, renouant à la fois avec le lyrisme sombre de "Once" et la grandiloquence cinématique de ses deux prédécesseurs. Pourtant, 'Elan', le premier single certes agréable bien qu'au pénible goût de déjà-entendu, n'augurait pas d'un tel succès, arbre cachant en réalité une foisonnante forêt dont seuls de nombreux  aller-retours à travers ses sentiers dévoilent la richesse touffue.

Etonnamment, malgré ses 80 minutes au garrot, l'album passe très vite, enchaînant les perles aux allures de Valhalla, gemmes à la fois moins symphoniques et plus acérées ('Weak Fantasy'), voire carrément  hargneuses à l'image du pesant 'Yours Is An Empty Hope' où la voix rugueuse de Marco Hietala s'accouple à une rythmique plombée tandis que les claviers de Tuomas distillent un climat menaçant. Cela faisait même longtemps que la guitare du sous-estimé Emppu Vuorinen n'avait pas sonné avec autant d'agressivité, témoin ce 'Endless Forms Most Beautiful' gigantesque.

Les arrangements, comme toujours de toute beauté, et les échappées celtiques ('My Walden') n'étouffent jamais une flamboyante énergie qui trouve dans la voix puissante de Floor son parfait véhicule. En retrait depuis le split d'Afer Forever que son projet ReVamp n'a pas su remplacer, la belle démontre qu'elle n'a rien perdu de son charisme, ce qu'illustre notamment le mélancolique 'Our Decades In The Sun', sans doute un des sommets de l'album dont il est révélateur des couleurs crépusculaires, les thèmes de la science et de la raison lui servant de combustible.

Dommage alors que 'The Greatest Show On Earth', piste terminale de près de 24 minutes, s'éternise, parasitée par une narration qui alourdit un canevas pourtant généreux en fulgurances symphoniques. Sans cette dernière partie qui n'évite donc pas quelques longueurs et une tendance à réchauffer parfois les mêmes mélodies depuis plusieurs albums ('Edema Ruth'), le résultat, qu'irriguent de sombres mélodies, frôle le sans faute et ne saurait décevoir, capable de fédérer aussi bien les fans de la première heure que ceux que "Dark Passion Play" et "Imaginaerum" ont su séduire.

On ne pouvait de fait espérer meilleur album à ce moment de la carrière des Finlandais dont on peut penser que l'arrivée parmi eux de Floor Jansen leur a apporté une envie nouvelle mêlée à une dose de sang frais salvateur. Se dévoilant un peu plus à chaque écoute, "Endless Forms Most Beautiful" est un très grand disque qui fera date dans l'histoire de Nightwish. (Nuclear Blast | Music Waves)



jeudi 9 avril 2015

Krönik | Emrevoid - Riverso (2014)


Silencieux depuis trois ans et un premier album éponyme, nous pourrions bien sur affirmer que nous attendions avec impatience le retour de Emrevoid. Ce que nous ne ferons pas, pour la simple et bonne raison que ce groupe italien nous était encore inconnu jusqu'à la découverte de "Riverso". Avons-nous rater quelque chose ? Au regard de ce dernier, il est bien possible en effet que cela soit le cas, concentré d'une brutalité à la fois technique et viscérale. Sans chercher à exagérer le talent de ce quatuor, force est d'admettre que celui-ci impressionne par sa vigoureuse maîtrise d'un genre qui ne pardonne pas la médiocrité. De quel genre s'agit-il d'ailleurs ? A question simple, réponse qui l'est beaucoup moins en cela que Emrevoid brouille constamment les pistes, ce qui n'aide à son étiquetage. Ce qui est tout à son honneur. Ainsi, à la place du death black annoncé prolifère un Metal extrême protéiforme. Bien que EP d'une vingtaine de minutes, "Riverso" présente une densité digne d'une rame de métro parisien aux heures de pointe. D'un format toujours resserré, ces six compos dressent une tension qui jamais ne se ramollit. Chacune d'entre elles, même 'Mostro' (une minute 37 au compteur !), déploient des trésors d'inventivité qui les rendent non seulement passionnantes mais surtout puissamment alambiquées, autant de courts dédales au maillage ultra serré et aux nombreuses strates qui se chevauchent. La complexité du death y copule avec la intensité fiévreuse du black pour un résultat aussi dissonant qu'ambitieux. L'inaugural 'Patibilo' illustre parfaitement la signature des Italiens, déflagration qui tabasse d'abord tout sur son passage avant de changer de visage en cours de route au moment om est entamée une vicieuse décélération tandis que le chant se fait plus grave. 'Il Tuo Disegno' est fait du même bois avec ses breaks malsains qui le lacèrent de part en part et que vrillent des riffs sinueux. Moins véloce se veut en revanche 'Obbedianzassenza', pesant mid-tempo que secouent toutefois de brutales éruptions d'une semence rageuse. Fort de ce méfait impeccable, il est à souhaiter que Emrevoid ne patiente pas trois années supplémentaires avant de revenir nous faire saigner les orifices. Car on en redemande et vite ! (cT2014 | La Horde Noire)


Black Death | 23:19 | Drown Within Records




mercredi 8 avril 2015

Krönik | Gang - V (2010)


Si la scène métal hexagonale semble (enfin) vouloir s’imposer à l’étranger sans avoir à rougir de la concurrence, suite au succès de groupes tels que Gojira, Eths ou à l’aura de sa chapelle noire (Nehëmah, Blut Aus Nord, Angmar et bien d'autres encore), il y aura toujours une tradition plus modeste, plus artisanale, mais non moins intéressante bien que moins exposée, qui continuera à se développer en parallèle. Cette tradition, héritée des années 80, est celle des Killers, Malediction, Messaline… et celle de Gang justement. Défenseur d’un thrash métal coulé dans le creuset du heavy depuis une vingtaine d’années déjà, le collectif de Champagne-Ardenne fait partie de ces soldats de l’ombre qui, en dépit d’une reconnaissance qui tarde à venir, n’ont jamais baissé les bras, enquillant les disques et les concerts pour le plaisir des fans et surtout pour le sien. Ce cinquième album, qui succède à Dead Or Alive publié en 2007, mouline de fait un métal à l’ancienne, nerveux et mélodique, qu'habillent des guitares qui ont le goût de l’authentique. Bien entendu, d’aucuns argueront que la prise de son affiche des carences en terme de puissance, alors qu’en matière de thrash, ce défaut ne pardonne généralement pas. Certes, face au gros son d’un Annihilator ou d’un Exodus, le fuselage de cette galette tient plus de la série B mais s'avère épais et sans afféteries. Qu’importe, les compositions tiennent la route, on sent bien que les mecs ont du métier à défaut de moyens cependant que Bill, le chanteur, outre le fait de posséder un bel organe (vocal), n’a heureusement pas une prononciation anglaise qui fait mal aux oreilles. Dans ce choix de privilégier la langue de Shakespeare plutôt que celle de Molière (sauf exception) réside d'ailleurs une part de la personnalité du groupe au sein d'un créneau où le contraire se révèle plus fréquent. Le Gang galope entre agressions heavy aux lointains relents punk ("Never Enough"), périples lourds qui lui sied plutôt bien ("Believer, Betrayer", "Skull's Out Of Genocide","Sacrifice", chanté en français et aux harmonies de guitares façon NWOBHM) et cartouches qui avalent les kilomètres en fonçant pied au plancher ("Overdose"). Sorte de power-ballade, plutôt agréable du reste, "Kill Me" fait office de coupure, de trêve entre ces titres assez agressifs, que les six-cordes contribuent à durcir encore davantage ("Into The Silence Of The Sea"). Un disque sans prétention, à prendre pour ce qu’il est, un bon exemple d’une certaine tradition française, simple, efficace et décontractée, de la part d'une équipe qui mérite le respect. (cT2010 | Music Waves)


Heavy Thrash | 39:40 | Emanes Metal Records
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lundi 6 avril 2015

Krönik | Desiderii Marginis - Hypnosis (2014)


Johan Levin nous aura décidément gâtés durant cette année 2014, pendant laquelle il aura offert deux albums, "Thaw" pour commencer, dont le statut de simple compilation ne le rend pas moins pas indispensable, et surtout "Hypnosis", une double ration de musique (?) pour succéder à "Procession" qui, il y a trois ans, marquait le grand retour du Suédois après un hiatus de plusieurs années. Son titre - inodore - ainsi que son visuel peu inspiré ne doivent bien entendu pas vous faire passer à côté de cet opus qui confirme au moins deux choses. D'une part que la Dark Ambient, bien qu'hermétique et exigeante, est loin d'être un genre figé et uniforme, palpitant au contraire d'une richesse qui semble sans fin, mais cela, on le savait déjà. D'autre part que Desiderii Marginis affiche depuis sa résurrection une inspiration décuplée et plus belle que jamais, même si cela, on le savait aussi. Du haut de ses (presque) deux heures de son(s), on aurait pu craindre que "Hypnosis" s'essouffle sur la durée ou soit difficile d'accès. Il n'en est pourtant rien, témoignant encore une fois et si besoin en était, du talent du bonhomme qui réussit tout du long à captiver, à passionner, nous emportant avec lui dans ce voyage introspectif, propice au recueillement. Si elle se drape dans le voile spectral d'une beauté absolue, l’œuvre n'en demeure pas moins minée par une tristesse qui l'est tout autant. Comment à ce titre ne pas être touché jusqu'au plus profond de son cœur, de son âme, par une plainte telle que 'Lazarus Palace', monument sécrétatoire d'une mélancolie aussi superbe que mortuaire ? Comme toujours, la Dark Ambient que tisse Desiderii Marginis se révèle plus émotionnelle que menaçante, des émotions trempées dans l'encre noire du désespoir le plus glacial. Englué, pétrifié par un souffle funéraire. C'est un art froid comme la roche en hiver et d'une dimension presque religieuse, art de la contrition face à une faute qui ne peut être pardonnée. "Hypnosis" est également traversé par nombre de fulgurances, puisées dans une palette de sonorités diverses bien qu'homogènes : samples de voix désincarnées ('Black Feathers'), soundscapes frissonnants ('Unmasked'), bruitages corrosifs qui rouillent la surface de ces complaintes étirées, lesquelles semblent se déliter à l'infini, déroulant un tapis aux limites floues d'émanations sombrement hypnotiques, et charriant des images de mort, de solitude et de douleur. A l'arrivée, Desiderii Marginis nous régale avec cette œuvre monumentale pour laquelle une vie entière ne suffira jamais pour en déceler tous les trésors nichés dans sa funèbre intimité. (cT2015 | Music Waves)


Dark Ambient | 108:00 | Cyclic Law





vendredi 3 avril 2015

Krönik | Valse Noot - So Straight Architecture (2014)


A l’heure du formatage à outrance, de la musique fast-food aussitôt avalée aussitôt oubliée, qu’il est agréable de découvrir un groupe tel que Valse Noot. Encore que mot « agréable » n’est sans doute pas le terme adéquat pour définir une mixture aussi folle que déglinguée capable autant de captiver que de faire fuir. Car, épris d’une liberté tout azimut, les Brestois ne font à priori rien pour brosser l’auditeur dans le sens du poil, passant toutes leurs influences – bariolées – à la moulinette d’un Free Rock Noise Pyschtrope (c’est eux qui l’appellent ainsi), étiquette qui a au moins le mérite de cerner l’indéfinissable. Les gars citent volontiers Les Melvins et Mike Patton comme source d’inspiration, patronage pour une fois non galvaudé. C’est dire. Bon, tout ça est très bien, mais c’est ça ressemble à quoi, Valse Noot, alors ? A rien, justement. « So Straight Architecture », le premier album des Français, aurait du coup pu être vain, bruitiste et sans queue-ni-tête, empilement incohérent de strates. Ce que, par miracle, il n’est jamais, gageure qu’il doit déjà au talent visionnaire de ses géniteurs qui évitent de se prendre les pieds dans ce maillage (faussement) bordélique. Emportée par un tourbillon aussi fiévreux que frénétique, la rondelle est, on le sent, solidement tenue par des musiciens qui savent très bien où ils vont et où ils veulent nous conduire. Il s’en dégage de fait une espèce de liberté furieuse ainsi qu’un vent de sournoise folie. Tout du long, « So Straight Architecure » gravite au bord de la rupture, injectant dans les veines un poison qu’incarne autant le chant énervé de Def que ce magma instrumental aux allures de partouze. Relativement longues, ces pistes, au nombre de sept, dégorgent de toute part d’un fluide aux couleurs hallucinogènes qui les rendent à la fois alambiquées et généreuses (‘Run Off The Main’) souvent, radicales et entêtantes parfois (‘Delta’), orgamisques toujours. Leur découverte s’apparente à une dérive dans un dédale de miroirs où tout peut arriver, espace tromboscopique duquel jaillit pourtant des geysers de beauté, une beauté certes vicieuse bien que palpable. Aventures et frissons garantis avec cet opus séminal aussi ambitieux que jubilatoire, signé par un quatuor dont on espère entendre (re)parler très très vite et dont on devine que le potentiel reste encore à déflorer. (cT2015 | Sound Protest)


Free Rock Noise | Auto-production




jeudi 2 avril 2015

Krönik | In Lingua Mortua - Salon des refusés (2010)


Trondr Nefas est un musicien étonnant. Stakhanoviste effréné qu’un seul groupe ne saurait contenter, il développe avec Urgehal, Vulture Lord ou encore Beastcraft (pour ne citer que quelques uns des projets qui l'occupent), une vision orthodoxe de l’art noir, puissante et primitive. Mais loin de certains Ayatollahs qui estiment que le genre ne doit surtout pas évoluer et donc se contenter de suivre le dogme, il n’a pas peur non plus d’utiliser le Black Metal comme un laboratoire ouvert sur toutes sortes d’expériences et de mariages à priori improbables. Malgré la proximité qu'il noue avec Angst Skvadron, son propre vaisseau spatial vers les étoiles progressives et psychédéliques, In Lingua Mortua, que le musicien habite avec sa guitare et (parfois) son chant râpeux, se présente avant tout comme le joujou de son compère dans Endezzma et Angst Skvadron, le multi-instrumentiste Lars Frederik Frøislie, également boss du label Termo Records qui publie d’ailleurs cette seconde exploration, produite et mixée par ses soins. Trois ans après l’intéressant Bellowing Sea - Racked By Tempest, Salon des refusés repousse encore plus loin les barrières et, ce faisant, brise franchement les carcans qui corsètent encore (bien trop) le genre. A un substrat très Black, fait de voix de gargouilles, de riffs pollués (presque burzumiens lors des premières et ultimes mesures de « Cold Void Messiah », rampante plainte terminale) et d’atmosphères sinistres et froides comme une nuit d’hiver, In Lingua Mortua n’hésite pas à greffer des notes de Mellotron hantées digne du King Crimson des années 70 (« Open the Doors of Janus »), du Mini Moog, de la clarinette (?) voire même du saxophone (comme sur le furieux « Full Fathom Five » notamment). Rien ne fait peur à ces téméraires du son, épris de liberté artistique et qui démontrent avec panache que le Metal noir n’est pas forcément qu’une chapelle figée dans ses propres codes. « Darkness » et « Like the Ocean », pour ne citer que deux exemples, ont ainsi quelque chose de voyages hallucinants d’une démesure baroque qui traversent des territoires à la géographie accidentée. Si les Norvégiens ne sont pas les premiers à tenter de (re)travailler le genre, de le sculpter comme une roche malléable, de lui injecter des influences progressives seventies (on pense notamment à Enslaved), eux réussissent la gageure de ne jamais mettre leur brutalité en jachère, à l‘image de la saillie rustre et courte "Into the Mincer". Bien au contraire, leurs compositions, empilements très denses de strates multiples, sont irriguées par un fluide vicieux qui leur confère une décrépitude obscure et infinie. Animé par une poignée d’invités de luxe dont les chanteurs Kvarforth (Shining) et Thebon (Keep Of Kalessin), Salon des Refusés déroule un menu extrêmement riche, que balisent deux pistes instrumentales (le foisonnant « Catharsis » et « Electrocution », aux teintes sombres et orchestrales), capable autant de rebuter ceux qui préfèrent davantage de simplicité que de séduire au contraire les amateurs de figures progressives que n’effraient ni les bouillons de culture ni la violence de modelés saignants. Les intégristes se pinceront le nez mais les Norvégiens pourraient bien toucher un public plus large. (cT2010 | Music Waves)


Progressive Black Metal | 44:42 | Termo Records
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mercredi 1 avril 2015

Krönik | Falls Of Rauros - Believe In No Coming Shore (2014)


Avec Agalloch et bien d'autres encore, Falls Of Rauros forge un Black Metal ancré dans un cadre géographique bien précis, celui du nord des Etats-Unis, art noir foncièrement connecté à la nature, enraciné dans une terre presque mystique, un art qui sent les cèdres et invite à des rêveries pastorales. Black/folk à ses débuts, le groupe de Portland coule peu à peu son style dans une veine plus atmosphérique sinon mélodique voire progressive, parfois aux confins d'une americana tumultueuse. Troisième album du quatuor, "Believe In No Coming Shore" témoigne de cette évolution. Certaines de ses six compositions ne manqueront d'ailleurs pas de surprendre, agréablement, instrumentales, à l'image de l'inaugural "Blue Misshapen Dusk", perle acoustique tavelée de couleurs automnales, ou bien percées d'ouvertures stratosphériques déchirantes de beauté, illustrées notamment par la dernière partie de l'épique "Ancestors Of Smoke". Malgré la puissance torrentielle du chant écorché ("Ancestors Of Shadows"), l'album semble trouver son pouls dans ces longues parties où guitares, basse et batterie fusionnent pour créer un tertre à la fois massif et vespéral qui emporte tout, reléguant les lignes vocales au rang de figurant. A l'écoute de "Believe In No Coming Shore", on mesure combien ses géniteurs ont travaillé leur art avec minutie et un sens de la progression magnifique. On en veut pour preuve l'immense "Waxen voices", dont les premières notes égrenées par une guitare d'une sècheresse osseuse sont ensuite rejointes par des percussions, lente élévation vers des cieux remplis de sombres nuages. Presque à mi parcours, le titre se pare alors et enfin d'oripeaux Black Metal jusqu'aux ultimes mesures belles comme un chat qui dort. Ne serait-ce d'ailleurs ces vocalises hurlées, certaines accélérations et l'aspect parfois abrasifs des guitares, on aurait presque envie de retirer à Falls Of Rauros cette étiquette black metal qui paraît désormais bien réductrice à son égard. Le morceau éponyme et terminal, tout en arpèges folk ou "Spectral Eyes", lui aussi marbré de nervures atmosphériques, montrent ainsi la distance qui sépare le style originel des Américains de leur écriture d'aujourd'hui, quand bien même ces éléments acoustiques et mélodiques ont toujours défini leur identité mais d'une manière plus diffuse autrefois. Cette évolution n'est pas pour nous déplaire surtout lorsque que la réussite est au rendez-vous, comme elle est ici, avec ce "Believe In No Coming Shore" de haute volée, opus d'une beauté aussi cristalline que terreuse. Falls Of Rauros avance, progresse, peaufinant une signature qui s'affranchit des genres sans se renier, conservant de fait ses racines enfouies dans le socle nord-américain, minéral et boisé. (cT2014 | La Horde Noire)


Atmospheric Black Metal | 41:56 | Bindrune Recordings